CRS : une nouvelle race de motards en colère...
Par Grégoire Acerra, le 29 janvier 2007
Le 15 décembre 2006 débutait "l’Opération Prévention", qui se traduit par une grève des PV lancée par l’UNSA police section CRS. Le mouvement exprime le ras-le-bol qui s’est installé face à la politique de "tolérance zéro" chère à Nicolas Sarkozy. C’est la première fois qu’un syndicat de police s’oppose aussi fermement à sa hiérarchie.
Cette action n’a que peu trouvé écho au sein des médias... !! Motomag.com a rencontré Pierre Cavret, secrétaire général adjoint de l’UNSA police section CRS, qui a exposé les motifs de l’appel à la grève de son syndicat.
« Un motocycliste de la police a, avant tout, l’esprit motard. Il en a la culture, la passion. Le choix de titrer un de nos communiqués "motards en colère" n’est donc pas tout à fait anodin ! », nous confie Pierre Cavret.
Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au poste de ministre de l’Intérieur, les forces de l’ordre sont poussées à faire preuve du moins de tolérance possible. Une politique répressive pesante pour les citoyens, mais aussi pour les fonctionnaires qui l’appliquent. Par son mouvement, l’UNSA (Union nationale des syndicats autonomes) police veut notamment prouver que la sécurité, sur la route comme ailleurs, peut et doit aussi passer par la prévention.
« Nous ne sommes pas des percepteurs d’impôts »
L’"Opération Prévention" consiste à ne pas verbaliser les infractions jugées non-dangereuses, comme par exemple les excès de vitesse de moins de 20 km/h hors agglomération. L’UNSA police, syndicat majoritaire au sein de la police, estime que le mouvement est suivi par près de 90 % des motards CRS affiliés à l’UNSA, soit 70 % du total des syndiqués.
Les policiers dénoncent notamment le choix qui est fait d’imposer des quotas de PV par agent. Un procédé qui est plus voué à faire rentrer de l’argent dans les caisses que de favoriser la sécurité de manière durable.
Quotas de PV
« Tout le monde le sait, il existe dans la police une prime au résultat. Plus vous verbalisez, meilleures sont les chances d’avoir une prime. C’est la "prime au résultat exceptionnel", qui est en train de pourrir le milieu policier », se désole Pierre Cavret. « Il s’agit aussi de montrer que nous n’acceptons pas cette vision de la police. En faisant de la prévention, nous voulons prouver qu’on peut obtenir les mêmes résultats de sécurité qu’avec l’unique répression. Et sans que les usagers soient pris pour des vaches à lait. »
« Pour un effectif de 600 motards, le manque à gagner dû à notre action est évalué à 1 million d’euros par mois. Ce qui ne représente qu’une part minime de ce que rapportent l’ensemble des PV dressés par les agents des forces de l’ordre. Nous avons bien ici affaire à un impôt indirect et nous en avons assez d’être considérés comme des percepteurs ! »
Rendre son image et son rôle préventif à la police
« Auparavant, le motard de la police jouissait de l’image de "l’ange de la route", du policier qui rend service. Aujourd’hui, cette image s’est détérioré. Il ne s’agit pas de dire que la répression est inutile, mais il faut trouver le juste compromis avec la prévention. »
S’ils ne remplissent pas les quotas de PV, les policiers ne touchent pas de prime. Plus grave, ils peuvent subir des sanctions disciplinaires. Bien sûr, ici, cette menace plane. Pour preuve, nous nous sommes procuré deux circulaires internes émanant de la Direction générale de la police nationale, qui dépend du ministère de l’Intérieur. Leur contenu est éloquent : il y a bien confusion entre sécurité routière et rendement en termes de contraventions.
Extrait d’une note envoyée aux directeurs zonaux des CRS à propos de la baisse de verbalisation. « Je vous prie de bien vouloir prendre toutes dispositions pour contrôler l’activité individuelle de chacun des motocyclistes placés sous votre autorité et de tirer les conséquences disciplinaires d’une inactivité qui se prolongerait après la mise en demeure que vous aurez adressée aux intéressés. Je les traduirai sans aucune faiblesse devant le Conseil de discipline en engageant la procédure de déchéance de leur spécialité de motocycliste. »
Les circulaires que nous nous sommes procuré, qui menacent les CRS de sanction en cas de "mauvais résultats", traduisent bel et bien la confusion entre sécurité et rendement.
« Si nous continuons dans cette voie, nous allons observer le même phénomène qu’en Angleterre : après quelques années de bons résultats grâce aux radars, la mortalité routière repartira à la hausse. Sans compter les effets secondaires du CSA (contrôle-sanction automatisé, NDLR), comme le nombre grandissant de conducteurs sans permis », conclue Pierre Cavret.
En tant qu’hommes de terrain, les fonctionnaires de police connaissent les comportements qui représentent un réel danger. Leur coup de gueule fera-t-il prendre conscience à leur hiérarchie, jusqu’à son sommet, qu’il est temps de changer de cap en matière de sécurité ?
À suivre...
Pourquoi cette grève ?
"L’Opération Prévention" est née à la suite d’une note émanant du ministère de l’Intérieur, transmise à la Direction générale de la police nationale, qui l’a ensuite communiquée à la Direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (CRS). Cette note notifie un changement de mode de remboursement des frais de mission des motards CRS. Étant donné la pression que subissent les policiers pour verbaliser à outrance, la méthode de revendication était toute trouvée : faire de la prévention.
« Les directives du ministère sont envoyées aux directeurs des différents corps de police. Chacun d’entre eux est alors libre de les interpréter et de les appliquer. Notre directeur a choisi de le faire pour les motards, mais il n’est pas exclu que le reste des CRS soit plus tard concernés. Comme les directeurs des autres corps peuvent décider d’appliquer le nouveau mode de remboursement à leurs subordonnés », explique Pierre Cavret.
Les motards CRS avancent, de leur poche, le montant de leurs frais de mission (essence, nourriture, hébergement). Jusqu’à fin 2006, ils étaient remboursés sur une base forfaitaire. Désormais, le défraiement se fait en tenant compte des sommes réelles engagées, limité par un plafond. Problème, selon le lieu de déplacement, les frais dépassent souvent ce dernier.
« Auparavant, les frais élevés d’une mission étaient compensés par une suivante, pour laquelle ils étaient inférieurs au forfait. Aujourd’hui, ce n’est plus possible et le motard perd de l’argent », dénonce Pierre Cavret. Précisons de plus que les remboursements s’effectuent à une échéance de trois mois. Ce nouveau mode de remboursement pourrait s’appliquer à l’ensemble des corps de police. L’UNSA police n’écarte donc pas l’hypothèse d’une amplification de son mouvement.
Les grévistes n’obtiennent pour le moment qu’une fin de non-recevoir de leur hiérarchie : le directeur central des compagnies républicaines de sécurité répond que la solution n’est pas de son ressort. L’UNSA a interpellé Nicolas Sarkozy. Le syndicat reste en attente de sa réponse.
Le site de l’UNSA police
À lire dans Moto Magazine :
L’UNSA police n’est pas la seule à dénoncer la politique de répression à outrance : consultez le dossier "Salon de la police : business et répression" paru dans Moto Magazine n°230